1 .Tirer les enseignements de 2013 et des décisions
politiques qui ont suivi
Rappelons d'abord que
57% des Alsaciens qui se sont exprimés lors du referendum de 2013
ont approuvé l'idée d'une collectivité unique d'Alsace.
Cette appétence pour
l'Alsace ne s'est pas démentie dans les sondages d'opinion récents,
même si le contexte, le projet et ceux qui le portent ont changé.
Tirer les enseignements
de 2013 c'est d'abord constater que l'idée de « collectivité
unique » soumise au suffrage avait déjà « du plomb dans
l'aile » au niveau national.
En effet, elle reposait
sur les dispositions prévues par la loi du 16
décembre 2010 « portant réforme des collectivités
territoriales » et visant à simplifier les structures
territoriales, à réduire les échelons, à clarifier les compétences
et les financements.
Sans supprimer les
régions et départements, elle instituait une forme de « cogestion » autour d'une nouvelle catégorie
d'élus : les conseillers territoriaux. Ceux-ci devaient être désignés pour la
première fois en 2014 sur la base des cantons avec la double
compétence.
Cette collégialité
devait aboutir de fait à une imbrication des politiques
territoriales et à renforcer leur cohérence.
Le projet porté par
Philippe Richert, Guy-Dominique Kennel et Charles Buttner était
donc une extrapolation de la loi de 2010. Pour résumer: « Si
nous devons travailler ensemble autant franchir le pas et le faire
dans une collectivité unique dans le périmètre pertinent de
l'Alsace ».
Or dès novembre 2011, la
majorité du Sénat menée par François Rebsamen, et un certain
Jacques Mézard (l'actuel Ministre de la cohésion des territoires) a
fait adopter uneProposition de loi « relative à l'abrogation
du conseiller territorial »car jugé trop favorable à la
droite, pas suffisamment en revanche pour la parité et
institutionnalisant le cumul des mandats. Par la même occasion,
cette question devenait un marqueur politique pour le Parti
socialiste.
A l'occasion du
changement de majorité de 2012, le même texte fut adopté à
l'Assemblée nationale dès le mois de novembre : le Conseiller
territorial était mort-né !
A ce stade, notre projet
alsacien s'est retrouvé à contre-courantface à un
gouvernement qui avait l'intention de revoir fondamentalement la
copie de la loi de 2010.
Le manque de
mobilisation lors du referendum a fini par ruiner les
derniers espoirs de voir naître la collectivité unique.
Mes collègues
parlementaires de l'époque, comme moi-même, en ont fait l'amère expérience lors
de l'examen de la loi Notre qui a abouti à la carte des
régions actuelle: la question alsacienne
était considérée comme contraire à l'esprit de la loi.
J'en
tire un premier enseignement : il est extrêmement
difficile de faire aboutir un projet d'organisation territoriale
s'il s'éloigne trop du schéma national, particulièrement dans
l'hexagone.
Je pense que Daniel
Hoeffel ne me démentira pas.
Une belle illustration,
en creux, nous vient du « pays basque » qui s'est coulé
dans le cadre législatif existant en créant une « communauté
d'agglomération » couvrant l'ensemble de la zone
bascophone.
C'est intelligent et
diablement opportuniste.
2. Ne pas négliger l'Eurométropole
Un second point faible
apparu lors du referendum de 2013 a été, à mon sens, de ne pas
avoir porté suffisamment d'attention à l'articulation entre la
future « collectivité unique » et une CUS aspirant au
statut de métropole.
Il ne s'agit pas
seulement de la question du siège qui a fait quelques gros
titres.
Je pense davantage à
l'articulation des compétences, mieux, à une véritable communauté
d'intérêt et de projet qui aurait permis de soutenir Strasbourg
dans son statut légitime decapitale régionale et européenneet en
retour d'en faire unelocomotive pour le reste du territoire.
J'ai fait la difficile
expérience de cette divergence de vue dans mes fonctions de
vice-président en charge des transports à la Région Alsace entre
2010 et 2015.
Ainsi, l'absence de
consensus n'a pas permis d'avancer aussi vite que nécessaire sur
des projets de rénovation de gares, de création de parkings, sur
une tarification multimodale (la fameuse carte orange) ni sur une
vision d'avenir en matière de schéma des transports.
Le même scenario s'est
répété lors de l'adoption de la loi Notre : Strasbourg a
choisi d'avancer en solo en fonction de ses propres centres
d'intérêt. Elle y a gagné la qualité d'Eurométropole (avec les communes de
la couronne) et, cerise sur le gâteau, elle a fait graver dans le
marbre de la loi son statut privilégié decapitale du GE, validant
de fait la nouvelle carte des régions.
J'en
tire naturellement un deuxième enseignement : en
matière d'Alsace rien de constructif n'est possible sans Strasbourg
et plus généralement si les Alsaciens tirent à hue et à dia.
J'en profite pour
remercier l'ICA qui a récemment donné l'occasion aux autorités
strasbourgeoises d'acquiescer au projet qui nous
intéresse. C'est un progrès notable !
3. Il est temps à présent d'écrire ensemble un nouveau
chapitre
Le 31 octobre 2017, à
l'occasion de la visite du Président de la
République à
laCour européenne des droits de l'homme, j'ai interpellé Emmanuel
Macron en lui demandant de prendre en compte la forte attente des
Alsaciens lorsque la nouvelle majorité se penchera sur la question
des collectivités territoriales.
J'ai le sentiment que le
message a été reçu et nous attendons avec intérêt les conclusions
de la mission exploratoire confiée au Préfet de Région qui
formalise cette attitude d'écoute.
Entre temps, le Chef de
l'Etat, puis le Premier ministre à l'occasion de son déplacement à
Strasbourg le 18 mai dernier, ont fixé le cadre :
« l'Alsace oui, mais pas hors du Grand Est ». Dont
acte.
Il nous revient donc de
travailler en direction d'une solution de compromis.
Dans cette perspective
de faire bouger les lignes, de nombreuses propositions ont été
formulées et je veux en particulier souligner le travail
remarquable de Frédéric Bierry et de Brigitte Klinkert étayant l'option d'une
« collectivité à statut particulier » en vertu de
l'article 72 de la Constitution et qui est autrement plus
intéressante qu'une fusion « sèche » des deux
départements.
Nous avons une fenêtre
d'opportunité qui peut s'ouvrir à l'occasion du débat sur la
réforme constitutionnelle.
De même, les travaux de
la Mission d'information de l'Assemblée nationale sur la
préparation d'une nouvelle étape de la décentralisation recommandent
de« rendre effectif le droit à la différenciation ».
Voilà qui nous intéresse.
Pour ma part, je
participe au groupe de travail du Bundestaget de l'Assemblée
nationale chargé de faire des propositions pour renouveler le
Traité de l'Elysée
« pour l'amitié franco-allemande » à l'occasion de son
55e anniversaire. Ces travaux s'orientent dans deux
directions. D'une part, vers une meilleure coopération entre les
deux Etats et plus spécialement entre les deux Parlements (c'est
nouveau) notamment lorsqu'il s'agit de transcrire
le droit européen dans la législation nationale.
D'autre part, vers un
renforcement des liens transfrontaliers, dans une proximité qui
permet de matérialiser cette amitié dans le quotidien des gens.
Ces idées se retrouvent
également dans le rapport qu'a rendu mon collègue Sylvain Waserman,
vice-président de l'AN, en l'axant plus spécialement sur
l'Eurométrople de Strasbourg.
Cette volonté commune de
plus et mieux de coopération
transfrontalière, renforce l'évidente nécessité de
structurer la rive gauche du Rhin et de la doter des compétences
nécessaires dans tous les domaines qui lui permettront de jouer son
rôle de tête de pont pour une Europe rénovée.
Vous l'aurez compris,
une telle approche change la perspective du projet dont nous
débattons et le rendra d'autant plus attractif à
Paris en ce qu'il apporte du contenu et du sens aux objectifs du
gouvernement.
Il doit aussi nous
permettre de renouer les fils de l'Histoire d'une« Alsace
trait d'union »qui a permis à ceux qui nous ont précédé
de fermer les chapitres sanglants des siècles passés.
Un retour aux
fondamentaux en quelque sorte.
Aussi, et c'est ma
conclusion (provisoire) je ne peux que souscrire au titre de la
contribution des deux Conseils départementaux à la mission du
Préfet : « Vers une Eurocollectivité
d'Alsace ».